En Haïti, le chemin qui mène au succès est parsemé d’embûches, surtout pour les femmes. Cette catégorie doit faire montre d’une détermination infaillible et d’un courage exceptionnel pour espérer gravir les échelons. En dépit de tout, mélomane ou pas, il est des noms qui résonnent tellement fort qu’ils doivent d’une manière ou d’une autre marquer notre imaginaire. Glissons une main dans ce panier contenant les noms de ces icônes pour remonter avec celui de Yole Dérose.
En effet, Yole Dérose, de son vrai nom Marie Marthe Eyole Ledan qu’elle a gardé jusqu’à son mariage avec Ansy Dérose, est née un 5 avril. Fille d’une mère léoganaise, Edith Sainvil Ledan et d’un père cayen Marc Ledan, un Prêtre Anglican, elle est la troisième née d’une fratrie de 5 enfants dont des jumeaux nés après elle. Très tôt, la native de Port-au-Prince va découvrir sa passion pour la musique.
D’ailleurs, la musique a toujours fait partie de sa vie. Jeune, elle faisait du solfège et débutait comme soliste à l’église qu’elle fréquentait. « Plus tard, j’ai un peu gratté de la guitare, j’ai pianoté et tambouriné, juste pour le plaisir. La musique était inévitablement le fond sonore de la danse que je pratiquais à l’école ou dans les groupes culturels », avoue-t-elle.
Le début de sa carrière musicale
La rencontre de Yole avec le chanteur Ansy Dérose a eu une influence notable sur son parcours d’artiste. Selon ce que confie l’artiste à la rédaction, sans le regard attentif d’Ansy, elle n’aurait jamais été au-devant de la scène. Tout a commencé lorsque celui qui va devenir son mari l’a convaincue de prendre le micro et de partager avec lui la scène. Ce moment a marqué sa vie.
« Ce n’était point mon projet, mais j’ai beaucoup aimé le duo “Yole et Ansy” que le public a porté aux nues. »
« Ma première vraie rencontre avec la musique s’est produite au Canada où je faisais partie d’un groupe d’acteurs et de danseurs représentant Haïti lors des Franco Folies en 1974 (Super Franco fête réunissant des jeunes de tous les pays francophones). Je chantais avec mes camarades, dans le lobby de l’Université Laval où nous logions, quand Ansy Dérose qui était déjà un chanteur célèbre, m’a écoutée chanter, et m’a complimentée. J’ai cru à une plaisanterie de sa part », raconte Yole Dérose.
Tout ne s’arrête pas là. Peu de temps après, de retour au pays, les chemins des deux artistes se sont recroisés. Une rencontre qui a favorisé leur union. « De retour en Haïti, nous nous sommes revus. J’avais à peine 19 ans et cette rencontre s’est soldée par notre mariage. C’est ainsi que j’ai fait ma grande entrée dans le monde musical à Porto Rico au Festival International de la Chanson et de la Voix en octobre 1979 en interprétant “Merci” avec Ansy et notre duo fut consacré », se rappelle l’artiste.
Yole et sa voix à Port-au-Prince
Dans les environs du Champ-de-mars, en plein cœur de Port-au-Prince, l’interprète de “Tonton nwèl” a vu sa belle carrière prendre son envol devant un public enthousiaste.
« Puis, en Haïti, lors d’un spectacle au Rex Théâtre, Ansy m’a présentée au public et ce fut un véritable coup de foudre. Ainsi a débuté notre carrière et nous avons performé pendant plus d’une vingtaine d’années en Haïti aussi bien que sur diverses scènes internationales », se remémore-t-elle.
Si les artistes tiennent toujours à leur originalité et parfois se limitent à un genre musical bien précis, Yole quant à elle, s’inscrit dans un registre pluriel. Elle s’identifie à la musique qui, selon elle, doit pouvoir traverser toutes les frontières. Et la chanson dans sa manière de la concevoir, a une fonction et un sens prenant en compte son regard sur la vie et sur tout ce qui l’entoure.
« Pour moi, une chanson, c’est un cri du cœur qui touche ou qui laisse indifférent. Ma chanson n’a ni appartenance, ni barrière, ni frontière : elle est universelle. Elle fait pleurer, rêver ou rire, elle exalte l’Amour, la Vie, l’Espoir ; elle conscientise, elle dénonce, elle condamne aussi… Tous ceux-là qui ont vibré avec elle en témoignent chaque jour », révèle Yole Dérose, Administratrice pendant plus de 8 ans des « Ateliers et Créations Ansy Dérose » spécialisés dans les travaux du bois précieux, du métal, en décoration intérieure.
Une carrière réussie
Yole Dérose mène actuellement une vie sereine aux côtés de sa famille. Elle porte déjà la tunique de grand-mère et s’en réjouit beaucoup. Car depuis la mort de son mari en 1998, le public est sevré de ce duo si captivant dans ses différentes prestations. Et, depuis le départ de son mari, sa carrière artistique a pris un autre tournant en fondant le 27 novembre 1999 « Les Productions Yole Dérose » qui comptent plus d’une vingtaine de créations.
« La chanteuse est bien loin derrière moi depuis l’adieu à la scène du duo, même si la musique reste en toile de fond. Je continue d’investir ma passion et mon énergie dans la création artistique. C’est ce que j’ai toujours voulu faire. Ceci m’a permis de mettre sur une même scène de grands artistes et de collaborer avec eux », dévoile Yole. C’est comme une branche sur laquelle elle prend son aise, ses créations artistiques.
Le dernier projet en date de Yole est intitulé « ERITAJ ». En février 2023, le public de Miami, aux États-Unis, a eu la chance de s’en délecter. Cette création, relate l’artiste, est une représentation de théâtre historique et musical qui illustre l’action de certaines de nos héroïnes qui ont forgé notre histoire, et qui sont peu ou mal connues.
Sans coquetterie de vocabulaire, Yole est l’une des plus belles voix de la musique haïtienne. Elle contribue à la rendre plus riche et tient à répandre nos héritages culturels partout à travers le monde.