L’année 2022 a marqué le centenaire de la naissance d’un immense écrivain, intellectuel, homme politique, médecin qu’Haïti peut fièrement appeler fils. Jacques Stephen Alexis, proclamé « jeune homme éblouissant » par Dany Laferrière, aurait pu avoir fêter son centenaire en cette année qui a été baptisée « Année de la Belle Amour Humaine », s’il n’avait pas disparu à seulement 39 ans.
Avec plusieurs romans de grand calibre, une multitude d’articles publiés dans les journaux, un livre de contes et des écrits politiques, l’œuvre de Jacques Stephen Alexis se révèle intense et peuplée de son pays qu’il a porté dans son cœur. Si l’on parle le plus souvent de Jacques Stephen Alexis en tant qu’écrivain, on ne peut oublier l’homme politique qui s’est illustré par sa lutte héroïque contre une dictature qu’il dénonçait vigoureusement. Les romans et autres écrits de cet homme devraient constituer une lecture fondamentale dans nos écoles secondaires en Haïti.
Jacques Stephen est né le 22 avril 1922 aux Gonaïves, dans un moule fait de culture et de bouillonnants débats politiques. Par sa mère, il descend de la lignée de l’empereur Jean Jacques Dessalines dont il a hérité, certainement, les ardeurs et la vision politique. Fils de Stephen Alexis, il se voit bercé par les lettres et la politique. Pas étonnant donc qu’il ait fait ses débuts littéraire et politique très tôt. Jacques Stephen Alexis a été témoin des bouleversements politiques et sociaux qui ont marqué l’histoire de son pays. Son engagement politique s’est manifesté dès son jeune âge, s’étant battu contre Lescot qui allait être renversé par la suite, alors qu’il était étudiant en médecine. Il a rejoint le mouvement des étudiants progressistes, le journal « La Ruche » et a commencé à écrire sur les problèmes sociaux et politiques de son temps. Il a egalement publié, à cette période, un essai très remarqué à propos du poète Hamilton Garoute.
C’est surtout sa résistance farouche face à la dictature du docteur François Duvalier tant par la plume que par les actions qui couronnent sa vie. Il s’est jeté à corps perdu dans cette lutte contre le flot de sang du docteur-dictateur et la liberté d’expression bâillonnée pour libérer Haïti du joug dictatorial. Avant même d’atteindre la quarantaine, il a fondé le Parti d’Entente Nationale, a rencontré diverses personnalités de gauche de cette période et s’est arrangé pour organiser la résistance face au redoutable Papa Doc. Dans ce contexte, il sera capturé en avril 1961, à la suite de son débarquement dans le Nord, où il sera probablement tué.
Nous nous retrouvons en face d’un homme complet, un patriote qui a tout donné à son pays. Alexis incarne le parfait exemple de l’alliance de la parole et de l’action, d’un pragmatisme conscient. À ce titre, sa pensée et sa vie s’accordent et méritent largement d’être connues.
Depuis son premier roman _Compère Général Soleil_ publié chez Gallimard en France, Alexis a bouleversé le monde littéraire. C’est une entrée triomphale avec ce roman qui a convoqué d’importantes qualités littéraires et mobilisé des ressources du terroir. Outre la qualité littéraire du texte qui, d’ailleurs, a frôlé le Goncourt, il y a également toute cette philosophie communiste qui s’en dégage ; preuve du marxiste convaincu qu’incarnait l’homme politique.
Seront publiés aussi _Les arbres musiciens_, _L’espace d’un cillement_ : véritable chant à l’humanité déployé dans un tel flot de poésie, _Romancero aux étoiles_, _L’étoile absinthe_ : une œuvre posthume. La _Lettre à sa fille Florence_ prouve qu’Alexis, du haut de ses responsabilités extra-familiales, fut bien une belle figure paternelle. Nous ne pouvons passer sous silence les vœux de l’année 1957, publiés sous le titre _La Belle Amour Humaine,_ qui semblent éclore du cœur même de l’auteur. Notons également Le manifeste de la seconde indépendance et Le marxisme, seul guide possible de la révolution haïtienne, deux textes politiques de haute portée.
Ces romans et autres écrits devraient constituer une lecture fondamentale pour les élèves du Secondaire en Haïti. Il faut faire lire Jacques Stephen Alexis aux élèves afin qu’ils apprennent à le connaître parce que ses écrits s’accouplent à sa réalité. Le faire lire pour un diagnostic de notre problème présent, dans une perspective d’avenir et dans une démarche d’appropriation de l’homme qu’il est, pour forger le caractère nationaliste, patriotique de l’élève.
Face à la situation désastreuse de notre pays, nous pensons que, plus que jamais, il est essentiel de répandre largement l’œuvre de Jacques Stephen Alexis et de la consacrer comme une pierre angulaire de notre enseignement. Pourquoi cette urgence ? Pour plonger dans l’univers foisonnant de ce grand écrivain, pour en approcher la profondeur et saisir les battements de son engagement. Il s’agit de nourrir l’âme de chaque élève, de forger la conscience politique des citoyens de demain, ceux qui sauront discerner les luttes justes et embrasser avec conviction l’idéal d’un monde plus éclairé, plus humain. Pour qu’à travers ses mots et ses actes, germent en eux la flamme d’une révolte lucide et le rêve d’une société plus digne.
L’élève comprendra qu’on ne peut dissocier la vie de l’écrivain de son œuvre, puisque cette dernière est trempée dans son amour du pays, son plaidoyer pour l’humanité et qu’elle laisse transparaître ses convictions politiques, sa lutte acharnée contre les abus, l’exclusion et l’injustice sociales. L’élève doit lire son œuvre pour comprendre qu’Alexis demeure un éternel compagnon de route, de lumière pour ceux qui se versent dans la lutte et qui n’abandonnent pas la barque de l’espoir. Pour apprendre de son humanisme ; c’est un homme mythique qui ne s’est pas enrichi aux dépens de son pays dans la politique mais qui est resté intègre. Et ses livres, justement, nous livrent sa vision du monde, des choses du monde, de l’homme, de ses rapports avec l’autre etc. Son œuvre toute entière constitue un héritage, un patrimoine et lui-même s’érige en un véritable modèle pour les jeunes ayant en horreur l’injustice sociale et en quête de l’identité haïtienne.
En définitive, la vie et l’œuvre d’Alexis doivent trouver place dans les lectures des jeunes, particulièrement du secondaire, dans ce souci de soigner le mal de ce pays qui s’empire. Louable s’avère donc toute initiative des organismes, associations culturelles, acteurs du secteur littéraire de répandre la vie et l’œuvre de Jacques Stephen sur les quatre coins du pays par ces campagnes dans les écoles. Un travail qu’il faudra, cependant, pousser plus loin. Il convient, en effet, d’intégrer Jacques Stephen Alexis dans le curriculum du secondaire, permettre aux élèves de visiter sa pensée et apprendre de cet homme dont la vision et les convictions politiques ont manifestement nourri l’œuvre de valeur.