Originaire de Torbeck dans le Sud Haïti, Dr. Ruben Louis est un jeune chercheur éminent dont le parcours académique et professionnel est marqué par une passion profonde pour les mathématiques et une détermination remarquable. Actuellement résident à Göttingen, Allemagne, il a construit un impressionnant parcours. Il est déjà, sans aucun doute, une célébrité dans le monde scientifique et un exemple pour les jeunes haïtiens. Notre rédaction l’a rencontré autour de son parcours et de son travail.
Ruben Louis a débuté ses études en mathématiques à l’École Normale Supérieure (ENS) de l’Université d’État d’Haïti, où il a obtenu une Licence en 2017. Il a ensuite poursuivi un Master en Mathématiques Fondamentales et Appliquées en 2019, grâce à une collaboration entre les universités des Antilles, l’Université de Poitiers, et La Rochelle Université en France. Sa quête de connaissance l’a conduit à obtenir un Doctorat en Mathématiques de l’Université de Lorraine en novembre 2022. Il est actuellement postdoctorant aux laboratoires de mathématiques de l’université de Jilin en Chine et de Göttingen en Allemagne. En dehors des mathématiques, le jeune chercheur pratique la guitare, joue au football, son sport favori, et suit assidûment l’actualité internationale.
Célébrité Magazine : Qu’est-ce qui vous a motivé à étudier les mathématiques ?
Ruben Louis : Ce qui m’a motivé à étudier les mathématiques, ce sont d’abord ses aspects philosophiques. Son lien avec le monde, notamment avec la musique : j’ai commencé à me découvrir une passion pour les mathématiques en essayant de comprendre la logique des harmonies musicales, des distances entre les notes de la guitare, instrument que je joue à un niveau assez avancé. Cette passion m’a permis d’intégrer l’École Normale Supérieure de l’Université d’État d’Haïti en 2013. Depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours trouvé extraordinaire qu’on puisse encoder des situations concrètes et réelles de nos besoins en tant qu’humains avec des symboles et des théorèmes mathématiques. En tant qu’étudiant, j’ai toujours su que je voulais progresser en mathématiques, et c’est plus qu’un plaisir de me voir avancer dans cette direction.
Plusieurs motivations m’ont encouragé à entreprendre une thèse de Doctorat. Premièrement, ma passion pour les mathématiques m’incite toujours à nourrir une immense curiosité et à vouloir aller plus loin.
De plus, la recherche mathématique offre une opportunité unique de contribuer à l’avancement des connaissances humaines et de résoudre des problèmes complexes qui ont des implications pratiques importantes. La rigueur et la beauté des mathématiques m’inspirent à explorer des territoires inconnus et à repousser les limites de notre compréhension. En tant que chercheur, je suis déterminé à apporter ma contribution à ce domaine fascinant et essentiel.
CM : Avez-vous eu des mentors ou des modèles dans le domaine des mathématiques ?
RL : Oui, j’ai eu la chance d’avoir plusieurs mentors et modèles qui ont joué un rôle crucial dans mon parcours en mathématiques. Parmi eux, mon professeur de mathématiques au collège, M. Ricardo CAMBRONNE, a été une source d’inspiration majeure. Sa passion pour la matière et sa capacité à rendre les concepts complexes accessibles m’ont profondément marqué. Il m’a non seulement transmis des connaissances, mais aussi l’amour des mathématiques et la rigueur nécessaire pour exceller dans ce domaine.
À l’université, lors de mon intégration à l’École Normale Supérieure de l’UEH en 2013, j’ai eu la chance d’être entouré par une nouvelle génération de jeunes professeurs fraîchement diplômés qui m’enseignaient. Ils étaient tous des modèles pour moi, et je souhaitais atteindre leur niveau. Enfin, tous les professeurs du département de Mathématiques de l’ENS m’ont inspiré, d’une manière ou d’une autre, à devenir le mathématicien que je suis aujourd’hui.
CM : Quels prix ou distinctions avez-vous remportés ? Pouvez-vous détailler chaque prix ?
RL : En 2023, j’avais reçu le « Prix de la meilleure thèse 2023 de l’Université de Lorraine’’, pour mon travail de doctorat à l’Université de Lorraine, ce qui a fait la une du quotidien Le Nouvelliste. L’école doctorale IAEM de l’Université de Lorraine décerne chaque année un prix de thèse à un manuscrit qu’elle considère particulièrement méritant parmi cinq disciplines différentes : Informatique, Automatique, Electronique-Electrotechnique, Mathématiques et Sciences de l’Architecture de l’Université de Lorraine.
Voici un article de mon laboratoire IECL de l’université de Lorraine sur les détails sur le prix : https://iecl.univ-lorraine.fr/ruben-louis-laureat-du-prix-de-these-iaem-2023/.
Cette année, j’ai reçu le prix qui récompense le meilleur Poster de la conférence Poisson 2024. Un poster ou une affiche scientifique est une présentation visuelle utilisée par les chercheurs pour communiquer les résultats de leurs recherches à un public, généralement lors de conférences, de colloques ou d’événements universitaires. Cette conférence est la plus grande réunion en géométrie de Poisson, matière dominante en mathématiques, qui se tient tous les deux ans dans un pays différent.
CM : Pouvez-vous décrire les travaux ou les recherches qui vous ont valu ces prix ?
RL : Le prix de 2023 : Ce prix récompense mes travaux sur « Les algèbres supérieures universelles des espaces singuliers et leurs symétries » réalisés sous la direction de Camille Laurent-Gengoux, professeur à l’Université de Lorraine.
C’est une thèse en mathématiques fondamentales où la question est de relier trois notions fondamentales des mathématiques :
• La notion de singularité,
• La notion de symétrie,
• Des notions devenues naturelles depuis la naissance de la mécanique quantique.
Ce sujet est justifié par de nombreux problèmes en physique mathématique : la plupart des théories modernes de quantification sont par exemple des théories de jauges. C’est-à-dire que l’on a un « espace des possibles » qu’on appelle espace des phases, lequel a souvent des points singuliers, et l’on doit construire une théorie invariante par toutes les symétries (le groupe de la relativité générale par exemple). Ma thèse étudie ce problème en toute généralité, dans le cadre de ce que l’on appelle les « feuilletages singuliers ». Elle consiste essentiellement en quelques résultats remarquables qui disent dans deux contextes différents : « on peut rendre sans singularités l’ensemble des symétries d’une certaine classe d’objets ».
Le prix de 2024 : Le poster présente un résumé de mon article récent intitulé « Nash resolution of singular Lie algebroids » mis en ligne en avril 2024 sur arxiv.org ici, https://arxiv.org/abs/2404.08840. Ce travail utilise des techniques de géométrie algébrique pour introduire une nouvelle approche des résolutions de singularités en géométrie différentielle. En particulier, cette méthode réexamine les techniques développées dans une construction récente basée sur l’éclatement d’une variété lisse le long des feuilles d’un feuilletage singulier.
Ce projet constitue une suite logique de ma thèse de doctorat réalisée à l’Université de Lorraine, Metz, France. Ce qui a distingué mon poster, à mon avis, c’est que j’ai pu présenter des résultats concrets issus de mes recherches, mettant en évidence l’impact pratique de ces structures dans divers domaines.
CM : Quels ont été les défis les plus importants que vous avez rencontrés lors de vos recherches ou études ?
RL : Lors de mon parcours d’étudiant à l’ENS d’Haïti, j’ai été confronté à plusieurs défis significatifs, notamment un accès limité aux ressources académiques et aux opportunités de recherche dans mon pays. Pour surmonter ces obstacles, j’ai fait preuve de persévérance en cherchant des opportunités à l’étranger. Le soutien précieux de mes professeurs et des réseaux académiques m’a permis de bénéficier de bourses et de participer à des programmes de recherche. Ma détermination et mon engagement à saisir chaque opportunité ont joué un rôle crucial dans l’évolution de ma carrière.
CM : Comment vos travaux contribuent-ils au domaine des mathématiques ?
RL : Mes travaux contribuent au domaine des mathématiques en apportant des résultats novateurs qui enrichissent notre compréhension des structures mathématiques et de leurs applications. En particulier, j’ai réussi à démontrer des théorèmes importants qui éclairent les relations entre différentes branches des mathématiques et à développer des méthodes analytiques et numériques qui facilitent la résolution de problèmes complexes. De plus, mes recherches mettent en lumière des applications pratiques de ces structures dans divers domaines notamment en mathématiques physiques, renforçant ainsi l’interdisciplinarité et l’impact global des mathématiques.
CM : Quels impacts espérez-vous que vos recherches auront sur la société ou dans le domaine scientifique ?
RL : En tant que chercheur en mathématiques, j’espère que mes travaux auront plusieurs impacts significatifs tant sur la société que sur le domaine scientifique.
D’un point de vue scientifique, mes recherches visent à approfondir la compréhension des structures géométriques et algébriques complexes et de leurs propriétés. En développant de nouveaux outils et méthodes, je contribue à l’enrichissement du cadre théorique de la géométrie différentielle, ce qui peut ouvrir de nouvelles perspectives dans divers sous-domaines des mathématiques.
Sur le plan sociétal, les applications potentielles de mes travaux sont variées. Les concepts de la géométrie différentielle sont souvent utilisés dans des domaines tels que la physique théorique, l’informatique et l’ingénierie. Par exemple, les techniques que je développe peuvent être appliquées à la modélisation de phénomènes naturels, à la conception de nouveaux matériaux ou à l’optimisation de systèmes complexes. En facilitant ces avancées, mes recherches peuvent contribuer à des innovations technologiques et à des améliorations dans la qualité de vie.
CM : Quels sont vos objectifs de carrière à long terme ?
RL : À long terme, mes objectifs de carrière sont de poursuivre l’exploration avancée en géométrie différentielle, en me concentrant sur les problèmes de résolutions de singularités. Je souhaite développer de nouvelles théories ou méthodes qui puissent avoir des applications concrètes dans divers domaines, comme par exemple, la physique théorique, en mécanique ou l’informatique.
Je suis également passionné par l’enseignement et je souhaite continuer à transmettre mes connaissances ainsi que mon enthousiasme pour les mathématiques aux étudiants, en contribuant à leur formation et à leur développement. De plus, je prévois de collaborer avec d’autres chercheurs et de participer à des projets interdisciplinaires pour enrichir ma recherche et élargir les horizons de mon domaine.
CM : Sur quels projets ou recherches travaillez-vous actuellement ?
RL : Je travaille actuellement sur un livre dont je suis co-auteur, portant sur les « feuilletages singuliers ». Ce livre sera publié dans la collection Advanced Courses in Mathematics chez CRM et Springer avant la fin de l’année 2024. Il a déjà servi de base à des mini-cours, et cet effort d’organisation, de simplification, de systématisation et de raffinement est très attendu par la communauté. J’ai même remarqué que nos brouillons circulent déjà.
Sur le plan de la recherche, je me trouve désormais avec plusieurs opportunités pour approfondir mon travail.
Je m’attaque actuellement à un problème de géométrie différentielle étudié par certaines des figures les plus renommées du domaine, telles que Getzler et Severa, sous un angle nouveau. Actuellement, la figure centrale de ces recherches est Chenchang Zhu, professeur à Göttingen. Grâce à elle, j’ai obtenu un poste de post-doc qui me permet de passer trois ans, dont six mois à Göttingen et six mois à Jilin. Cela me place dans des conditions optimales pour mes recherches.
CM : Comment gérez-vous l’équilibre entre votre vie professionnelle et personnelle ?
RL : En tant que mathématicien chercheur, il est difficile pour moi de dissocier la vie professionnelle de la vie personnelle, car les mathématiques font partie intégrante de ma vie. En effet, la recherche et les découvertes mathématiques sont souvent des sources d’inspiration et de passion qui se prolongent au-delà des heures de travail habituelles.
Pour gérer cet équilibre, je m’efforce de structurer mon temps de manière à consacrer des moments précis à mes activités professionnelles tout en préservant des espaces dédiés à ma vie personnelle. Je trouve également que mes activités en dehors des mathématiques, comme jouer de la musique ou participer à des matchs de football, me permettent de me détendre et de recharger mes batteries, ce qui est essentiel pour maintenir une bonne santé mentale et physique.
En somme, plutôt que de voir un conflit entre vie professionnelle et personnelle, je considère qu’il est important d’intégrer ces aspects de manière harmonieuse, chaque domaine enrichissant et stimulant l’autre.
CM : Comment voyez-vous le futur des mathématiques et des sciences en Haïti ?
RL : Le futur des mathématiques et des sciences en Haïti est à la fois prometteur et incertain. Ces dernières années, nous avons vu émerger de nombreux diplômés haïtiens hautement qualifiés dans le domaine des mathématiques. Cependant, l’instabilité persistante dans le pays a souvent empêché ces talents de revenir et de contribuer directement au développement scientifique local.
Malgré ces défis, il y a des raisons d’être optimiste. La communauté mathématique haïtienne continue de croître et de se renforcer, et les réseaux internationaux offrent des opportunités pour les chercheurs haïtiens de collaborer et d’échanger des idées à distance. Les progrès technologiques facilitent également l’accès à des ressources éducatives et à des plateformes de recherche en ligne, ce qui permet à ces chercheurs de maintenir un lien avec la communauté scientifique mondiale.
Pour l’avenir des mathématiques et des sciences en Haïti, il est crucial de continuer à encourager et soutenir les talents locaux, même en dehors du pays. Les efforts pour stabiliser la situation et investir dans les infrastructures éducatives et scientifiques seront également déterminants pour permettre un retour et un développement significatif dans le futur. La collaboration internationale, l’engagement des anciens élèves et les initiatives locales peuvent jouer un rôle clé dans la construction d’un environnement scientifique plus solide en Haïti.
CM : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes étudiants haïtiens qui souhaitent poursuivre une carrière en mathématiques ?
RL : Aux jeunes étudiants haïtiens qui souhaitent poursuivre une carrière en mathématiques, je leur conseillerais d’abord de cultiver leur passion. Les mathématiques peuvent être complexes et exigeantes, mais une véritable passion pour le sujet est un moteur puissant pour surmonter les défis. Il faut identifier les aspects des mathématiques qui vous fascinent et laissez-vous inspirer par eux, même si les ressources peuvent être limitées.
Restez curieux et informés. Les mathématiques sont un domaine en constante évolution, et il est essentiel de rester ouvert aux nouvelles idées et aux développements récents. Lisez des articles, suivez des cours en ligne et restez à jour avec les avancées dans votre domaine d’intérêt.
Avec persévérance et résilience, ils pourront naviguer à travers les défis et opportunités dans le domaine des mathématiques.