Dans l’univers numérique actuel, pris d’assaut par des playlists et des algorithmes favorisant les tubes de type tendance et les succès instantanés, il est facile de passer à côté de morceaux plus discrets, de véritables trésors musicaux nichés dans les recoins des albums. Ces chansons de l’ombre, moins virales et moins écoutées, mais souvent plus intimes et audacieuses, seront au cœur de notre nouvelle rubrique « Trésors de l’ombre », dédiée à leur découverte et exploration.
Chaque semaine, nous partirons à la recherche de ces perles rares, ces morceaux méconnus ou parfois oubliés, mais empreints d’une beauté sincère et touchante, grâce à leurs paroles, leurs mélodies ou leurs arrangements. À travers cette rubrique, nous vous invitons à ralentir le pas, à écouter avec attention et à redécouvrir des univers parfois négligés, une chanson à la fois, loin des feux de la rampe et du tumulte de la foule.
Pour cette première exploration, nous avons choisi un titre moins coté de l’album « Time to Shine » de Kenny Haïti. Ce morceau n’a peut-être pas conquis les classements comme le tube « Kle Kou », qui a suscité un palpitant challenge sur les réseaux sociaux, mais il renferme une beauté certaine doublée d’un message profond qui touche bien au-delà des chiffres cumulés.
Kenny Haïti a secoué la scène musicale avec la sortie de son premier album, « Time to Shine », le 19 septembre 2024, un projet très attendu et disponible depuis sur toutes les plateformes de streaming. « Time to Shine » est un opus de 12 titres dans lequel Kenny Haïti confirme une fois de plus son talent singulier et sa vision artistique. Des 12 morceaux de cet album, nous avons jeté notre dévolu sur « Kriye », le dernier titre mais non le moindre, porteur d’un puissant message.
Déjà, le titre esquisse le thème de la chanson, en levant le voile sur les propos qui y sont détaillés. À travers des paroles profondes et mélancoliques, Kenny Haïti aborde des thèmes universels tels que la souffrance, la tristesse, la privation, les difficultés du quotidien et la nécessité d’un exutoire émotionnel. Dans « Kriye », il évoque des moments de vulnérabilité où pleurer devient un moyen de soulager la peine et de surmonter les épreuves.
Décrivant diverses situations difficiles de l’existence, le morceau nous pousse à nous autoriser à exprimer nos émotions lorsque nous traversons des épreuves personnelles. « It’s okay to cry », chante Kenny Haïti à la fin du premier couplet. Comme pour affirmer que ce n’est ni une faiblesse, ni une honte de verser des larmes quand l’instant le requiert. Dans nos moments tristes avec nos fardeaux, nous ne côtoyons parfois que la solitude : « W pa gen pèsòn pou w di sa ». Mais le refrain nous offre une prescription libératrice : « Dèfwa li bon pou w kriye / Pou w ka santi w soulaje / Olye de tèt ou w tiye / Menm lè w konn dekouraje / Dèfwa li bon pou w kriye ».
Le deuxième couplet semble s’adresser explicitement aux hommes : « Pil sakrifis pou w jwenn la terre promise / Ou p ap travay men w gen fanm ki nouris / Ti fanmi sou kont ou fè chay la pi plis / Si w pa byen kenbe tèt ou ka pati… » Ces paroles rappellent avec une intensité émouvante que pleurer n’est pas seulement un acte de vulnérabilité, mais aussi un exutoire pour le cœur et l’esprit, indépendamment du genre. Elles rappellent également la nécessité de briser les codes traditionnels de la masculinité, souvent liés à la répression des émotions. Pleurer devient un geste de libération, un abandon de la façade stoïque pour permettre à l’âme de trouver le réconfort et à l’individu d’embrasser pleinement sa sensibilité.
En tant qu’êtres humains, nos larmes sont l’expression de nos sentiments les plus intimes : tristesse, colère et même joie. Elles sont également un signe de vulnérabilité et de résilience que l’artiste a su capter. Kenny Haïti, avec la douceur de sa mélodie, exprime ici des réalités qui touchent de nombreuses personnes en Haïti et ailleurs. Sa voix chargée d’émotions et sa manière d’interpréter concèdent une intensité unique à cette chanson qui semble porter la marque de son vécu et de celui de sa communauté.
L’authenticité et la sincérité de « Kriye » confèrent à cette chanson une force singulière, même si elle n’a pas atteint la viralité de certains autres titres. Dans une société où l’on cherche souvent à projeter une image de force, Kenny Haïti dépasse la simple description de la douleur ; il invite chacun à s’autoriser à lâcher prise. Pour beaucoup, « Kriye » devient alors une source d’inspiration, un rappel que, même dans les heures les plus sombres, une force intérieure demeure accessible à ceux qui osent l’embrasser.
Au-delà de la chanson elle-même, « Kriye » est un reflet de la réalité haïtienne, où les difficultés économiques, sociales et personnelles sont souvent affrontées sans grand soutien extérieur. Cette chanson invite les auditeurs à reconnaître dans ce cri de détresse un moyen de se libérer et de continuer d’avancer malgré les obstacles. En outre, elle illustre parfaitement la capacité de la musique à devenir un miroir de la société et un espace d’expression pour des sujets moins prisés.
Avec une douce mélodie, des accords réussis et une voix charriant beaucoup d’émotions, Kenny Haïti nous emmène dans un voyage lyrique, intime et profond. Les paroles, presque murmurées, attestent de la vulnérabilité de l’artiste lui-même et consacrent la profondeur de son message.
« Kriye » est une œuvre musicale à savourer dans la tranquillité, à écouter attentivement pour en saisir toutes les nuances et surtout en tirer leçons. L’artiste nous invite ainsi à laisser tomber nos défenses et à nous autoriser la vulnérabilité : parfois, pleurer soulage le cœur.