Des années après la publication de son recueil « L’éternité des cathédrales », la poétesse haïtienne Adlyne Bonhomme revient sur le devant de la scène littéraire avec son tout nouveau recueil « Un chant d’oiseau dans la paume ». Dans cet entretien accordé à la rédaction, elle partage ses réflexions sur son parcours créatif et son dernier ouvrage.
Certains croient fermement que la poésie haïtienne a de beaux jours devant elle. Grâce à ces jeunes plumes qui pensent et pansent le monde, des émotions naissent, des dieux frémissent et tremblent. Dans cette génération émergente de plumes haïtiennes s’élève une voix prometteuse dénommée Adlyne Bonhomme née à Petit-Goâve. Armée de ses mots, elle tisse des vers qui font vibrer les cœurs et réjouit les esprits.
Adlyne est une poétesse qui croit qu’écrire est un risque, ‘’qu’on peut répondre au désastre par des mots’’. Et par l’écriture, on peut aider le monde à garder une certaine mémoire. Aux Editions Inferno, Adlyne a dirigé en 2017 un collectif de 34 poètes à la mémoire des victimes du cyclone Matthew sous le titre « Écrire pour ne pas oublier ». Ensuite, elle a publié aux Editions de la Rosée, un long poème empreint de sensualité titré « L’éternité des cathédrales » en 2019.
Distinctions et récompenses ont jalonné son chemin, témoignant de son talent incontestable. Elle a été nominée en 2019 pour le Prix Maurice Koné, avec « La complexité de nos mains », un poème… traduit en arabe par Hatim Al-ansary. Elle a reçu la même année, le Prix de poésie des Éditions de la Rosée pour « L’éternité des cathédrales ». En 2020, elle a été parmi les lauréats du Prix de la nouvelle « Le déjoué de mon quartier » organisé par C3 Éditions avec son texte « Monologue d’un fou ». Toujours en 2020, elle a été invitée d’honneur à Konbit Atis Solèy, un évènement artistique et littéraire à Cité Soleil. En 2023, on la retrouve parmi la deuxième cohorte de résidents de Vers Le Sud résidence de création.
Son processus de création
Interrogée sur la période entre ses deux publications, Adlyne clarifie que des livres n’ont juste pas vu le jour mais qu’elle est bien en constante activités de création poétique. Elle avoue avoir composé beaucoup de poèmes après « L’éternité des cathédrales ». La poétesse explique que plusieurs recueils attendaient patiemment leur moment pour voir le jour, soulignant la nécessité pour elle de mûrir artistiquement avant de partager ses écrits avec le monde :
« Plusieurs recueils (comme ‘’Un chant d’oiseau dans la paume’’, qui vient de sortir) trépignent dans ma cage, attendent de voir le jour et de se frotter au monde. J’avais tenté tant de fois de me faire éditer des plaquettes, mais toujours une hésitation, toujours comme un doute s’était emparé de moi et avait raison de ma tentation. Je comprenais en fait que j’avais besoin de mûrir ; besoin un petit peu (par la lecture de poètes majeurs) d’améliorer ma pratique et d’épurer mon geste. La publication parfois, je crois, fait mieux d’être piétonne ; de ne pas prendre de tap-tap. Et je crois cela, respectueux. Respectueux à la fois de la chose, mais aussi de ceux qui la consomment. »
Son dernier recueil
« Un chant d’oiseau dans la paume » est publié aux Éditions Recto-Verso cette année. Adlyne révèle que ce second recueil est né d’une conversation qui l’a profondément touchée. Il s’agit d’une demande pour « La complexité de nos mains » que la personne pensait être un ensemble alors qu’en fait, ce n’est qu’un seul poème. Touchée par cet intérêt et l’envie déjà présente de travailler sur la thématique de la main, elle a exécuté le désir de composer ce recueil. À travers les poèmes de cette nouvelle publication, elle explore les multiples facettes de la main qui peut à la fois servir à la tendresse et à la violence, à l’amour et à la guerre.
« L’idée était de donner vie à la main. De montrer comment elle est omniprésente. D’essayer de mettre en avant toute la complexité qui l’entoure. La main qui donne à manger aux volailles par exemple c’est aussi celle qui les tue. La main qui caresse, c’est aussi celle qui frappe. Toute cette complexité-là de cette partie du corps, je voulais le montrer et je souhaite que j’aie réussi à montrer toute l’énergie qu’elle dégage, combien elle est complexe parce qu’elle touche à tout, à l’amour comme à la guerre. Même si je sais bien qu’il y a un cerveau qui dirige mais elle est toujours présente pour exécuter. Et je voulais surtout sensibiliser tout le monde de manière générale à utiliser les mains pour protéger la nature. À protéger la vie. Ce texte est pour dire : mettons nos mains dans des actions positives. » assène-t-elle.
Le recueil est désormais disponible en Haïti, mais la situation actuelle du pays rend incertaines les prévisions pour les événements de dédicaces et de vente-signature. Tout en espérant une amélioration de la situation globale, Adlyne exprime sa hâte de pouvoir rencontrer ses lecteurs et de partager son travail avec eux.
La poésie pour Adlyne
En ces temps troublés, la poésie selon Adlyne devient un phare pouvant éclairer les consciences et appeler à l’action. Sa plume, tel un arc-en-ciel dans l’obscurité, porte un message d’amour et de paix, défiant les ténèbres de l’injustice.
« La littérature n’a pas la clé, en terme concret, pour changer les choses. Char écrit d’ailleurs que ‘’la réalité ne peut être franchie que soulevée’’. Mais dire, je crois, c’est le commencement de l’épreuve de la réalité. Car, ça peut permettre une meilleure compréhension des faits et jouer la carte d’une espèce de sensibilisation. »
« Je crois que mes écrits reflètent mon intérieur tout en portant une parole de paix et d’amour. Ma plume est ma façon de porter ma pierre à la construction du monde. Face à des politiques qui veulent mener le monde vers l’abime, ma poésie, inscrite dans une démarche de dénonciation pourra éventuellement aider à quelque chose. », poursuit-elle.
Ses perspectives
Quant à l’avenir, Adlyne, éprise d’histoires depuis sa tendre enfance, envisage avec bonheur l’écriture d’un roman. Nouveau défi, nouvelle aventure, où les mots pourront se déployer en une symphonie narrative, offrant aux lecteurs un voyage inoubliable. En effet, Adlyne se montre ouverte à cette possibilité, révélant son intérêt pour l’écriture de fiction et son désir de relever de nouveaux défis littéraires.
« Toute jeune, j’ai été fascinée par les histoires. Je veux bien me lancer dans le roman. J’ai déjà quelques nouvelles publiées en collectif. Ce qui est déjà bon signe, car explorant une écriture où, contrairement à la poésie, je suis soumise à une parole qui se déploie. Pourquoi pas un roman ? J’aimerais bien. C’est un défi. »